L’anarchie (du grec αναρχία /
anarkhia, composé de an, préfixe privatif : absence de, et arkhê, commandement, ou « ce qui est premier ») désigne la situation d’une société où il
n'existe pas de chef, pas d'autorité unique. Il peut exister une organisation, un pouvoir politique ou même plusieurs, mais pas de domination unique
ayant un caractère coercitif. L’anarchie peut, étymologiquement, également être expliquée comme le refus de tout principe premier, de toute cause première, et comme revendication de la
multiplicité face à l’unicité.
Le mot anarchie est employé tantôt comme synonyme de désordre social que l’on retrouve dans le sens courant, qui se rapproche de l’anomie, tantôt comme un but pratique à atteindre dans le cadre d'une idéologie comme c’est le cas pour les anarchistes.
Anarchie et anomie
Sens courant
Le mot anarchie est souvent employé comme un repoussoir par des personnes considérant essentiel le principe fondamental d’autorité pour indiquer une situation de désordre, de désorganisation, de chaos, sur
la base de l’hypothèse implicite que l’ordre nécessiterait une hiérarchie. On retrouve déjà dans le Littré (le mot
est très peu usité avant le XVIIe siècle) la définition de l’anarchie
comme « absence de gouvernement, et par suite désordre et confusion ». Par extension ce sont toutes les formes de trouble et de désordre qui sont appelées anarchie ; c’est cette
façon d’employer le mot qui prévaut dans l’usage courant, comme dans la plupart des dictionnaires. Le poète Armand
Robin (1912-1961) définit « l'anarchiste » comme celui qui est « purifié volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée et de tout comportement pouvant d'une
façon quelconque impliquer domination sur d'autres consciences ».
Anomie
Le mot correct pour une situation de désordre social, sans lois, sans règles, où les différends se régleraient par la seule violence physique (armée ou non), est
l’anomie. L’anomie est une dissolution des normes sociales, règles,
lois, coutumes : cette situation peut être liée à une volonté de domination réciproque de plusieurs pouvoirs concurrents, à une
réaction de désespoir (L'anarchie est la formulation politique du désespoir, Léo Ferré) face à une société moribonde.
À ce sujet, bien que anomie soit mieux adapté, le terme « anarchie » est utilisé systématiquement par les pouvoirs pour indiquer une situation
politique qu’ils ne maîtrisent pas (et qu’ils désireraient maîtriser), où leur pouvoir politique est en difficulté.
Termes historiques
Les exemples historiques tels que l’anarchie militaire dans l’Empire
romain dans les années 235-268, ou l’utilisation
d’Anarchie (The Anarchy) pour définir la guerre civile anglaise qui opposa deux concurrents au pouvoir, Mathilde l'Emperesse et Étienne
de Blois entre 1135 et 1154, est révélateur de ce fait : il ne
s’agit pas de situations qui puissent s’apparenter à l’anarchie au sens strict, auquel cas il n’y aurait plus de pouvoir, ni d’autorité, mais d’une désorganisation liée aux pouvoirs concurrents,
d’une période politique troublée.
Utilisation péjorative du terme
Bien souvent, le terme « anarchie » est utilisé pour décrire le chaos, les guerres civiles et les situations de désordre social. On peut y voir deux
raisons. La première, sans doute la moins importante, provient du terme « anarchie », interprété comme l’absence d’ordre, de règles et de structures organisées, bref : le chaos de l’anomie sociale. Ce n’est pourtant pas ce que prônent les anarchistes. Pour éviter cette confusion entre anarchie politique et anomie, confusion qui dénature les idées de l’anarchisme, les anarchistes
utilisent parfois le mot « acratie » ou libertaire (terme inventé par Joseph Déjacque, défenseur de la liberté politique), comme synonymes d’anarchiste. La seconde, plus concrète et plus forte, provient des luttes anarchistes au tournant des XIXe et XXe siècle en Europe. À cette époque, le mouvement anarchiste a été marqué par les illégaux ou illégalistes qui voulaient sans attendre
pratiquer l’anarchisme (et donc ignorer purement et simplement les « lois », considérées comme illégitimes), le diffuser (théorie de la propagande par le fait) et lutter activement contre les oppressions, y compris par la violence. Concrètement, ces anarchistes
"illégaux" ont escroqué, volé et tué au nom de leur doctrine, avec comme victimes des puissants (princes, ministres, riches, compagnies d’assurances, etc.), des serviteurs de l’État
(douaniers, policiers, etc.). Quelle qu’ait été l’importance réelle de ce courant, il a énormément frappé les esprits. Par ailleurs et inversement, par non-violence, des anarchistes pacifistes,
refusaient la conscription et pratiquaient l’insoumission. Tout cela a servi à expliquer la mise en place des « lois scélérates » à la fin du XIXe siècle dans de nombreux pays et stigmatisé l’ensemble des anarchistes, tandis que
« anarchiste » ou « Ravachol » devenaient des injures. L’usage du terme libertaire s’est
d’ailleurs répandu en France avec l’interdiction des mots de l’anarchisme, pour des raisons sociales et juridiques (être l’auteur de « propagande anarchiste » est resté
passible de prison jusqu’en 19921).
Absence de commandement comme but des anarchistes
Anarchistes face à l’anarchie-anomie
Les anarchistes rejettent en général la conception courante de
l’anarchie (utilisée dans le langage courant, par les médias et les pouvoirs politiques). Pour eux, au contraire, l’ordre naît de la liberté, tandis que les pouvoirs engendrent le désordre (voir termes historiques). Certains anarchistes useront du terme acratie, du grec κράτος / krátos (le pouvoir) donc
littéralement « absence de pouvoir », plutôt que du terme « anarchie », d’étymologie grecque lui aussi, qui leur semble devenu ambigu, porteur d’un aspect positif mais d’une
trop grande connotation négative pour pouvoir être employé comme synonyme d’un objectif désirable. De même, certains anarchistes auront plutôt tendance à utiliser le terme de « libertaires » pour se désigner, ou indifféremment ceux de « fédéralistes », « anti-étatistes » ou « anti-autoritaires ».
Société libertaire
Cependant, les anarchistes utilisent encore le terme, porteur d’une histoire indissociable d’autres notions qui s’y rattachent comme l’anarchisme ou l’anarchie positive de Proudhon (qui est d’ailleurs le premier à donner un sens précis au mot anarchie, utilisé auparavant en guise d’insulte dans les milieux politiques sans
avoir jamais été véritablement défini).
L’anarchie aux yeux des anarchistes n’est pas un chaos, mais la situation harmonieuse résultant de l’abolition de l’État et de toutes les formes de l’exploitation de l’humain par l’humain, « c'est l'ordre sans le pouvoir », « la plus haute expression
de l'ordre » (Élisée Reclus). Fondée sur l’égalité entre les individus, l’association libre, bien
souvent la fédération et l’autogestion, voire pour certains le collectivisme, l’anarchie est donc organisée, structurée, sans admettre pour autant, aux yeux des anarchistes
anticapitalistes, de principe de supériorité quelconque de l'organisation sur l'individu.
On peut noter que chez tous les anarchistes la qualité indispensable est la responsabilité individuelle (associé au droit naturel) qui permet d’agir dans l’intérêt personnel sans pour autant attenter à la liberté des autres. Les seuls mandatés le sont, par
volontarisme et sans durée précise, dans un but et sur un mandat précis, et il n’existe ainsi nulle forme de domination ni de gouvernement.